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lundi 1 octobre 2018

Affaire Tariq Ramadan, une nouvelle affaire Dreyfus ?

« Comme la célèbre affaire Dreyfus, chaque jour qui passe, cela ressemble de plus en plus à un assassinat politique et non à un jugement équitable. » 

Khaled Abou El Fadl, Professeur de droit à l'Université d'UCLA

L’affaire Tariq Ramadan en France est honteuse et ignominieuse. Je ne peux plus garder mon silence devant cette grotesque parodie de justice. Depuis que des accusations de viol ont été portées contre lui en France, l'affaire Tariq Ramadan a été entachée d'irrégularités de procédure, de déni de procédure équitable et de preuves de discrimination insidieuse. Le mauvais traitement réservé à Ramadan par la justice française et le lynchage des médias français ont été si scandaleusement injustes qu'ils ont atteint le stade de la persécution pure et simple.

Alain Gabon (Professeur des Universités aux Etats-Unis ndlr) ainsi que d'autres personnes ont déjà détaillé les persécutions et les abus commis par les autorités françaises dans cette affaire. Egalement, plus d’une centaine d’éminents universitaires et savants ont signé une déclaration exigeant un traitement juste et une procédure équitable pour Tariq Ramadan.

Alors pourquoi j’écris ? Tout d’abord parce qu’en tant que musulman, je suis indigné par le silence embarrassant des organisations et des dirigeants musulmans devant le lynchage indéniable d'un éminent savant musulman. Les mêmes organisations qui avaient bénéficié auparavant de la renommée et de la célébrité de Tariq Ramadan, et qui se félicitaient de l’avoir dans la liste des intervenants dans leurs conférences et symposiums, l'ont maintenant abandonné, lui et sa famille à leur sort.

La deuxième raison pour laquelle j'écris est qu'en tant qu’étudiant d'Histoire et de Droit, le cas de Ramadan me rappelle l'affaire scandaleuse de Dreyfus dans laquelle le système judiciaire français éclairé a injustement jugé et condamné un innocent, simplement parce qu'il était juif. J'écris parce que je suis convaincu que la manière dont l’affaire Ramadan est traitée témoigne de préjugés politiques et religieux évidents. Ces préjugés expliquent les nombreuses irrégularités qui affligent les procédures judiciaires en France. J'écris aussi parce que je suis profondément troublé par le non respect de la présomption d'innocence, d’autant plus qu'il existe des preuves substantielles que Tariq Ramadan n'est pas traité comme un accusé faisant face à des accusations de viol, mais qu'il est en réalité un prisonnier politique persécuté par ses ennemis idéologiques jurés. Après avoir étudié toute une série d'affaires pénales déposées contre des violeurs présumés en France, il parait évident que le traitement réservé à Tariq Ramadan n'est pas justifié par les accusations, les allégations ou les procédures d'enquête de l'affaire.
Voici un compte rendu partiel des irrégularités et des problèmes dans cette affaire

1. Tariq Ramadan croupit en détention provisoire depuis le mois de février de cette année. Aucune date pour le procès n'a été fixée, et il n'est même pas certain qu'il y aura un procès.

2. L'affaire a été fondée sur les accusations présumées de trois femmes : Henda Ayari, Mounia Rabbouj (Marie) et Paule-Emma (Christelle). Cependant, Ramadan n'a pas été traité comme un accusé ordinaire. Sans justification aucune, l’affaire a été transférée à la juridiction du procureur général de Paris, François Molins étant une personne plutôt habituée à gérer les affaires de terrorisme dans lesquelles les suspects étaient invariablement musulmans.

3. Le traitement infligé par Molins à Tariq Ramadan ne diffère aucunement de celui réservé habituellement aux suspects terroristes. Ramadan a été placé en isolement ; ses contacts avec sa famille et ses avocats, ainsi que l’accès à ses propres dossiers ont été sévèrement restreints ; et il a été privé de son courrier et de tout droit à la vie privée.

4. De manière choquante, Ramadan a été détenu pendant des mois avant d'être autorisé à parler ou à présenter des preuves à décharge pour sa défense. Ce n'est que le 5 juin dernier qu'il a finalement été autorisé à témoigner et à témoigner en réfutation. Sur le plan juridique, pour sa détention, Ramadan a été placé dans des conditions pénibles, où sa capacité à se défendre contre les accusations est sévèrement restreinte. Le problème avec les restrictions imposées n'est pas seulement d’ordre psychologique. Ces restrictions limitent la capacité de l’accusé à mener des recherches, à se concerter avec son avocat et à se défendre sereinement contre les accusations portées. Imaginez que vous essayez de vous défendre contre des accusations graves tout en étant placés à l'isolement vingt-trois heures par jour, et que vous n’êtes autorisés à sortir de votre cellule que pour très peu de temps, que l'accès à une bibliothèque ou un ordinateur vous est refusé, tout comme l'accès à la plupart de votre courrier, à l'écriture et à la lecture ainsi que l'accès à votre propre dossier!

5. De plus, Tariq Ramadan est très malade, et il n'est pas exagéré d’affirmer que les conditions de son emprisonnement sont tortueuses. Ces conditions ont pour effet une grave détérioration de son état de santé et peuvent même conduire à sa mort. Malgré un dossier médical excessivement documenté, le tribunal français a refusé de le mettre dans un hôpital et de lui fournir les soins médicaux adéquats.

6. La présomption d'innocence signifie que nous devons présumer qu'une personne est innocente jusqu'à preuve du contraire. Mais cela n’a pas été respecté dans l’affaire Ramadan. La manière dont il est traité est semblable à celle dont les tribunaux français ont traité des personnes soupçonnées de terrorisme, où leur droit à une procédure équitable a été bafoué en raison d’une prétendue protection de la sécurité nationale.

Cependant, l’affaire Tariq Ramadan n'est pas censée être lié au terrorisme mais à des agressions sexuelles présumées. Le tribunal n’a produit aucune justification convaincante pour toutes les restrictions qui lui ont été imposées en prison. Tariq Ramadan n’est pas traité comme la plupart des accusés faisant face à des accusations similaires, qui sont libérés sous surveillance jusqu'à la date de leur procès.

Le gouvernement français a d’ailleurs récemment découvert un complot terroriste d'un groupe nationaliste blanc, l'AFO, qui projetait d’attaquer et d’assassiner des musulmans dans toute la France. Bien que les dix membres de l'AFO aient admis leurs intentions de commettre des attentats meurtriers contre des mosquées et des écoles musulmanes en France, le chef du groupe et la plupart de ses membres ont été immédiatement libérés sous surveillance. (https://lemde.fr/2LvtQZZ) Les accusés de l'AFO n'ont rien subi de ce qui a été infligé à Tariq Ramadan.

Je dois avouer que j’aurais montré moins d’empathie pour Tariq Ramadan si les preuves présentées contre lui par les trois présumées victimes étaient plus solides. La vérité est qu'à ce jour, aucune preuve crédible n'a été dévoilée contre Ramadan. La première plaignante, Henda Ayari, a présenté des récits contradictoires et incohérents, non seulement devant les tribunaux, mais aussi dans ses nombreuses apparitions dans les médias français. Entre autres, elle a menti sur sa relation avec la deuxième plaignante, et sur la coordination de leurs récits d'agression sexuelle contre Ramadan. De plus, il s'est avéré qu'elle a des relations maintenues et de longue date avec les ennemis idéologiques de Ramadan, y compris les islamophobes les plus notoires de France. Plus récemment, elle a reçu le soutien des islamophobes américains, tels que le célèbre Robert Spencer. Plus troublant encore, avec son islamophobie et ses attaques contre les musulmans, Ayari est devenue une célébrité dans les médias français et elle a exploité ses accusations contre Ramadan pour développer sa carrière.

A multiples égards, le cas de la deuxième plaignante (appelée Christelle) est plus alarmant. Il a été prouvé qu’elle était une militante du « suprématisme français blanc ». Ce courant a une longue expérience dans la défense des pogroms génocidaires contre les musulmans en France et en Europe, et semble avoir développé une haine compulsive contre Tariq Ramadan. Comme Ayari, «Christelle» a entretenu une relation de longue date avec Caroline Fourest, l'ennemie jurée de Ramadan et l'auteure de « Frère Tariq », un livre islamophobe publié en 2008. Comme Ayari, son témoignage a été contradictoire, incohérent et sans fondement.

Quant à la troisième accusatrice (appelée Marie), elle ne peut plus être considérée comme une plaignante. Ses accusations étaient tellement faibles que même le tribunal français, qui a jusqu’ici ignoré les incohérences et les contradictions des autres plaignantes, a été forcé de rejeter son cas. Lors de l'audience du 5 juin, l'avocat de Ramadan a présenté de nombreux éléments qui prouvent qu’il s’agissait de mensonge pur et simple. Le cas de (Mounia) est désormais exclu. Ainsi, Ramadan reste détenu à l'isolement et continue de subir un traitement réservé normalement aux personnes soupçonnées de terrorisme, en raison des accusations non fondées portées par deux plaignantes non crédibles, Ayari et Christelle
Déni de procédure équitable

Permettez-moi d’exprimer mon avis aussi clairement que possible : cette affaire a surtout révélé un problème de discrimination. Aucun autre accusé faisant face à des charges similaires n’a subi le traitement réservé à Tariq Ramadan. Il s’agit incontestablement d’un déni de procédure équitable. Les conditions de sa détention l’empêchent effectivement d’assurer sa défense. Egalement, le lynchage subi par Ramadan et sa famille de la part des médias français s’apparente indéniablement à de la persécution. Il y a des preuves cumulatives qui démontrent que les détracteurs politiques de Ramadan ont conspiré avec les plaignantes pour produire des récits non corroborés et très souvent incohérents et contradictoires d'agression sexuelle.

De plus, l'État Français a été complice de l'exploitation de l'opportunité offerte par les accusations portées par deux femmes très suspectes contre un intellectuel musulman public, qui a pendant des années dérangé le gouvernement français. A l’instar du « Muslim Ban » qui a été récemment validé par la Cour suprême des États-Unis, il existe de nombreuses preuves d’une motivation antimusulmane qui sont commodément ignorées par la justice française. Compte tenu des antécédents de la justice française jusqu'à présent, il est permis de douter que le système français soit en mesure de garantir à quelqu'un comme Tariq Ramadan un procès juste et équitable. Comme la célèbre affaire Dreyfus, chaque jour qui passe, cela ressemble de plus en plus à un assassinat politique et non à un jugement équitable.

Dans l'Affaire Dreyfus, un homme innocent a dû être condamné et emprisonné pendant des années avant que les Juifs français réalisent que les valeurs de la République Française de liberté, égalité et fraternité ne les incluaient pas, et qu'en tant que citoyens, ils avaient un statut de seconde classe. Cependant, l’affaire Dreyfus a permis aux Juifs de France et d'Europe de prendre conscience de la nécessité de revendiquer agressivement la dignité et l'égalité des droits en tant que citoyens, et de ne pas hésiter à exiger leur droit en tant que peuple. L'affaire Dreyfus a également été un événement transformateur dans l'histoire de la communauté juive européenne car elle a convaincu de nombreux intellectuels juifs de devenir conscients de leur identité collective, de leur dignité et de leur solidarité avant de pouvoir espérer obtenir des droits égaux en tant que citoyens.

L'affaire Ramadan a cruellement dévoilé l’impuissance et la fragilité politique des musulmans dans toute l'Europe. Il est légitime de se demander si les musulmans ont conscience de ce terrible constat et ce qu’il faudrait faire le cas échéant. Je dois dire que je ne peux pas résister à la pensée plutôt sombre qu'un peuple qui ne reconnaît pas l'importance de soutenir ses plus brillants penseurs quand ils sont injustement traités et privés de droits fondamentaux, aura du mal à gagner le respect en tant que peuple.

Tribune de Alain Gabon : Tariq Ramadan, Mennel, Diallo ou le racisme islamophobe à la française.

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