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jeudi 23 février 2017

Un discours nécessaire !

 

Jacques Toubon dénonce les difficultés d’accès aux droits en France. Pour le défenseur des droits, l’administration a sa part de responsabilité, mais il dénonce aussi une forme de rejet des droits de l’homme remplacés, dans le discours politique, par la question de l’identité. Il revient également sur l'affaire Théo et sur la logique partisane dans la vie des citoyens.



Recueilli par Michel Urvoy - Ouest France

L’institution du Défenseur des droits, créée en 2011, a pour charge de veiller au respect des droits des personnes. Elle peut être saisie gratuitement par toute personne, société ou association qui s’estime discriminée par un représentant de l’ordre public (police, gendarmerie, douane…) ou privé (agent de sécurité…). Jacques Toubon, nommé Défenseur des droits en 2014, estime du haut de son expérience et de ses 75 ans, que le discours politique fait trop de concessions aux droits supposés universels. Entretien.

Comment évolue l’accès aux droits dans le pays des droits de l’homme ?

Il existe un hiatus entre les droits proclamés et les droits effectifs. Entre les grands principes et les droits vécus au quotidien. Et il a plutôt tendance à s’élargir.

Pour quelles raisons ?

Pour trois raisons. L’administration devient de plus en plus labyrinthique. Elle recule en fermant des bureaux ; elle est de plus en plus dématérialisée ; elle est de moins en moins équipée pour accueillir. La deuxième : les inégalités réelles sont de plus en plus fortes. La grande pauvreté est un obstacle à l’accès aux droits. La troisième est plus politique. Il y a une perte de repères par rapport à ce qui était en France, une forme de « religion » des droits de l’homme.

De la part de qui ?

De tout le monde. Y compris, ce qui est le plus inquiétant, des responsables politiques. On entend beaucoup dire : « les droits de l’homme c’était il y a soixante ans, les lendemains de la guerre, aujourd’hui, c’est une autre époque, faisons ce qui est possible… » Autrement dit, les droits universels ne sont plus considérés comme absolus, ils sont discutables et discutés. Le recul de l’accès aux droits, au-delà des défauts du service public, tient donc plus largement à l’état de la société, et à la crise…

Dans quels domaines a-t-on le plus reculé ?

Depuis dix ans, on a laissé en déshérence la lutte contre les discriminations et la bataille pour l’égalité. Il n’y a plus de discours du politique là-dessus, sinon la récente loi égalité-citoyenneté qui a essayé, tardivement, de rattraper le coup. À partir du moment où le sentiment domine que les pouvoirs publics ne se battent pas contre les discriminations, beaucoup de gens se disent que le système n’est pas fait pour eux… Aujourd’hui, le discours prépondérant, c’est celui de l’identité, l’identité qui fait obstacle à l’égalité.

Rien de positif ?

Si ! L’institution du Défenseur des droits, après cinq ans et demi de fonctionnement, est arrivée à maturité et son rôle est reconnu. Nous avons beaucoup de demandes - 86 000 dossiers, 9 % de plus l’an dernier - et beaucoup de résultats. Dans bien des domaines de la vie courante, nous rendons effectifs des droits qui n’étaient pas pleinement réalisés.

L’accès aux allocations illustre-t-il ce hiatus dont vous parlez ?


Exemple massif : on pense qu’il y a 35 % des personnes qui pourraient toucher le Revenu de solidarité active (RSA) et qui ne le demandent pas. Les Départements, du fait de leurs difficultés budgétaires et de trésorerie, cherchent à resserrer le dispositif, à ajouter des conditions non prévues par la loi. De plus, la lutte contre la fraude, parfaitement justifiée, crée des chicanes, et peut être un facteur de la difficulté de l’accès aux droits. Énormément de gens n’ont plus le fil d’Ariane pour entrer dans le système.

C’est encore plus vrai s’agissant des étrangers ?

Nous constatons que, de plus en plus, l’étranger installé en France, et le migrant, est d’abord traité comme un étranger, c’est-à-dire une catégorie administrative, avant d’être considéré comme un malade, un demandeur de logement ou d’emploi. Le dernier exemple, c’est l’université de Nanterre qui ne voulait plus admettre d’étrangers en master. Elle avait décidé de les refuser, illégalement, en opposition à tous les principes, à « l’esprit de Nanterre » et même à l’intérêt de la France, à partir d’exigences gestionnaires. Heureusement, elle est revenue sur sa décision.

La gestion peut-elle devenir un prétexte pour cacher des motivations moins avouables ?

Prenons l’exemple de l’aide médicale aux étrangers (AME). Que dit-on couramment ? « C’est trop cher. » Il n’y a que le Front national qui assume la préférence nationale, c’est-à-dire le contraire des droits de l’homme. Les autres disent tous qu’ils n’ont rien contre les étrangers, mais qu’il n’y a plus l’argent. Le résultat est le même ! « La maîtrise des flux migratoires », cette formule technocratique, signifie que l’on ferme les vannes. Vous avez une distorsion entre les droits, faits pour tous, et la manière restrictive dont ils sont appliqués pour quelques-uns : les étrangers, et aussi d’autres personnes vulnérables, comme les mineurs isolés qui bénéficient pourtant d’un droit inconditionnel à l’abri.

L'affaire du jeune Théo, violemment interpellé, relève de l'accident ou de la perte de repères ?

C'est un fait de société. En France, il y a un véritable malaise entre une partie de la police et une partie de la population. 80 % de la population n'a pas de problème avec les forces de l'ordre. Mais, dans certains territoires, des groupes de jeunes, Noirs, Arabes ou Maghrébins, sont vingt fois plus contrôlés que les autres et témoignent de comportements qui créent le conflit. Cette situation caractérise une société qui laisse provoquer des occasions de division sociale. Alors que la police, ce sont les « gardiens de la paix », par construction.

Quelles solutions ?

Si on savait pourquoi il y a un contrôle et par qui il a été fait, et quand, et où, cela aurait trois conséquences bénéfiques : moins de contrôles, la possibilité pour la personne contrôlée de contester et celle, pour le policier, de se défendre. D'une façon plus générale, il faudrait que toutes les parties prenantes - les élus, le gouvernement, la police, la gendarmerie, les associations, des spécialistes universitaires et des chercheurs - se mettent autour d'une table. Au point où nous en sommes, les relations police/population justifieraient l'organisation d'une « conférence de consensus ».

Y compris sur l'état d'urgence ?

J'ai considéré que plusieurs des dispositions proposées, qui pour la plupart ont été adoptées sans coup férir, comportaient des accrocs à l'État de droit et que cela risquait de constituer un recul inacceptable devant l'entreprise terroriste. Dans le contexte sécuritaire dans lequel vivent nos démocraties, la seule façon de répondre à la barbarie, c'est de chérir et préserver sans compromis, les valeurs, les libertés, les droits, l'égalité, qu'elle a pour projet de combattre !

Diriez-vous, à partir du moment où on a la volonté, que l'on a les outils ?

Exactement. Ce n'est pas la peine de changer les règles... C'est une question de volonté politique. Tous les partis sont paralysés par les enjeux immédiats. Mais il faut aussi plus d'effectifs - combien de commissariats ont fermé leurs portes ! - le retour d'une police en permanence sur le terrain, une formation plus poussée...

Diriez-vous la même chose si vous étiez resté l'homme politique que vous étiez ?

Cette question ne tient pas compte du temps qui passe. J'ai connu une vie politique dont la règle était la discipline de groupe, la solidarité gouvernementale. En même temps, je me suis toujours occupé de la France multiple, du droit, de la culture. Je n'ai pas une nouvelle vision ou une nouvelle opinion. Je m'inscris plutôt dans la continuité de ce que je suis et de ce que je pense.

Être partisan peut-il jouer contre le citoyen ?

La vie politique est structurée autour des partis. Détruire les partis, c'est jouer contre la démocratie. Mais les partis peuvent manquer d'ouverture. Pour ma part, je suis libre de toute attache partisane. Le Défenseur des droits est indépendant et libre. Je dis les choses et je vois les êtres tels qu'ils sont. Que les convictions, également respectables, n'empêchent pas d'apporter de bonnes réponses aux bonnes questions.

Est-ce une question de droite-gauche ou de capacité à se mettre dans l'optique du citoyen, de la victime, du consommateur ?

C'est une question d'empathie. Pour faire que les droits universels le restent et qu'il n'y ait pas d'exclu de la République. Les droits, c'est par définition ce que la République accorde à tous. Encore faut-il réaliser cette promesse pour retrouver une cohésion sociale, assez largement compromise.


dimanche 19 février 2017

Par peur d'être confrontés à une journaliste de Médiapart des responsables du FN refusent une invitation de BFMTV

Des responsables du FN qui refusent une invitation de BFMTV ? Voilà qui n’est pas courant. D’habitude si prompt à squatter l’antenne de la chaîne en continu, aucun cadre du parti frontiste n’a accepté de participer hier soir au talk de la chaîne Weekend Direct. BFMTV (pourtant d'habitude plus intéressée par les affaires Fillon que par les affaires Le Pen) avait invité la journaliste Marine Turchi qui enquête sur l’affaire d'emplois présumés fictifs du parti frontiste. Ce mercredi 16 février, la journaliste de Mediapart, conjointement avec Marianne a publié des extraits d'un rapport de l'Office européen pour la lutte anti-fraude (OLAF) concernant des assistants parlementaires de Marine Le Pen. L'OLAF soupçonne la présidente du FN d'avoir fourni des faux contrats d'assistants parlementaires, notamment à son garde du corps, Thierry Légier, ainsi qu'à sa cheffe de cabinet, Catherine Griset.

"Hier BFM m’appelle et me propose de venir parler de l’enquête, ils souhaitaient également avoir quelqu’un du FN sur le plateau", nous confie la journaliste. C’est là que ça se corse. Comme la journaliste de Mediapart l’a fait savoir ce matin dans un tweet : "aucun responsable n’a voulu venir en plateau parler de l’affaire des assistants de Le Pen avec nous"




Ce qu'a confirmé à son tour sur Twitter, le présentateur de l’émission Weekend Direct François Gapihan.



BFMTV avait pourtant multiplié les invitations. Comme @si se l'est fait confirmer, la chaîne a successivement sollicité le secrétaire général du parti Nicolas Bay, le délégué national du rassemblement bleu marine, Sébastien Chenu ainsi que le très médiatique vice-président du FN, Florian Philippot. En vain.

Le premier a fait savoir à la chaîne qu’il n’était pas disponible, les deux autres ont tout simplement refusé. "Habituellement ils ne se font pas prier pour passer sur BFM, mais quand ils ont compris qu’un des deux auteurs de l’enquête serait sur le plateau, c’était fini", remarque Turchi.

samedi 18 février 2017

Monique Pinçon-Charlot : "Fillon et les bourgeois sont sur une autre planète"

Invitée d'Arrêt sur images pour donner son regard de sociologue sur le #FillonGate, la spécialiste des riches et directrice de recherche au CNRS à la retraite Monique Pinçon-Charlot a mobilisé une lecture de classe pour donner des clés de compréhension du scandale.




Elle explique que la bourgeoisie, classe sociale qui a conscience d'elle-même et qui se mobilise pour la défense de ses intérêts, ne peut pas comprendre l'émoi provoqué par son népotisme et son accaparement des richesses. Occupant tous les postes de pouvoir, cette oligarchie serre les rangs et estime que ces comportements moralement réprouvés par la majorité des citoyens et peut-être même bientôt punis par la justice sont normaux, puisqu'ils sont habituels et permettent sa reproduction sociale. 

Ces gens là grandissent et vivent tout le temps entre eux dans un entre soi de classe absolument permanent. Vous savez qu'à l'Assemblée nationale il y a très peu de représentants des ouvriers et des employés. Pour ne pas dire pas du tout. 
Que ce soit dans les cercles, que ce soit dans sa société de conseil, que ce soit dans les remises de légions d'honneurs, ils sont toujours entre eux dans une consanguinité sociale de tous les instants, qui fait qu'ils se sentent impunis. Il y a une impunité de classe qui est extrêmement forte. Ils se croient véritablement les meilleurs. 
Il y a une phrase de Paul Nizan* que j'ai mémorisé dans "Les chiens de garde", écrit en 1932, qui est tout à fait révélatrice, qui colle très bien comme exergue pour l'histoire de Fillon : "La bourgeoisie travaille pour elle seule, elle exploite pour elle seule, elle massacre pour elle seule. Mais elle doit faire croire qu'elle travaille, qu'elle exploite et qu'elle massacre pour le bien final de l'humanité. Mais elle doit faire croire qu'elle est juste ... et elle même doit le croireC'est ça qui est important, cette chute :"Et elle même doit le croire". 
[...] Il faut vous rendre compte que la classe politique est tellement dissociée, déconnectéedu peuple, que le mensonge est devenu une manière de gouverner aujourd'hui au plus haut sommet de l'état. 
[...] Comment est-ce qu'ils vivent leurs électeurs ? Comment est-ce que ces grands bourgeois vivent le reste de la société, il y a des processus de déshumanisation de mépris de l'autre dissemblable, qui sont extrêmement forts, c'est une instrumentalisation de leurs électeurs. 
Ce qu'ils cherchent c'est des voix. On a vu Fillon instrumentaliser la religion catholique, ils sont sans cesse en train d'instrumentaliser pour le bénéfice de leur prédation, pour le bénéfice de leurs privilèges, pour le bénéfice de leur pouvoir. 
Ce qu'il faut vous mettre dans la tête, c'est qu'on a pas la même tête. Ils pensent de manière différente de nous, ils utilisent des mots différents de nous, ils sont sur une autre planète et c'est très difficile, nous qui avons des valeurs d'égalité, de partage, qui avons des valeurs morales très fortes, eux non, c'est pour ça que je reviens à cette phrase de Paul Nizan, qui est essentielle. 
Il faut comprendre le fonctionnement de classe d'une oligarchie qui s'accaparent toutes les richesses et tous les pouvoirs.


Monique Pinçon-Charlot, née le 15 mai 1946 à Saint-Étienne, est une sociologue, directrice de recherche au CNRS jusqu'en 2007, année de son départ à la retraite, rattachée à l'Institut de recherche sur les sociétés contemporaines (IRESCO).

* Paul-Yves Nizan (1905-1940) est un romancier, philosophe, et journaliste français.

vendredi 17 février 2017

Oui, encore et toujours la colonisation est un crime contre l’humanité


En déclarant que “la colonisation est un crime contre l’humanité, une véritable barbarie”, Emmanuel Macron a déclenché un torrent d’indignation. On a dit que cette déclaration n’était que pur opportunisme, que le candidat d’”En marche”, comme d’habitude, disait tout et son contraire. En novembre 2016, il déclarait : “Alors oui… en Algérie il y a eu la torture mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes, c’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie”. Certes. Mais si, pour une fois, Emmanuel Macron avait eu raison ? La réaction chauvine suscitée par ses propos, en tout cas, montre que le révisionnisme colonial fait partie de l’ADN de la droite française.

Il faut les entendre fulminer, ces humanistes à géométrie variable, lorsque cette page sinistre de l’histoire de France est pointée du doigt. Pour Bernard Accoyer, secrétaire général des Républicains, “ces propos constituent une insulte à l’Histoire de France et à la mémoire de millions de Français. Ils n’honorent pas le candidat à l’élection présidentielle qui fait le choix de la repentance plutôt que celui d’une lecture objective de notre histoire. Une repentance, toujours agitée par la gauche et l’extrême-gauche, qui contribue malheureusement à la défiance d’une partie des nouvelles générations envers leur pays”.

Mais c’est tout le contraire ! Pour qu’un Français se sente insulté par cette affirmation, il faut qu’il ait une lecture étriquée du passé national. Les millions de victimes du colonialisme français depuis trois siècles seraient-elles quantité négligeable ? Faut-il, pour être patriote, adhérer à un roman colonial à l’allure de conte de fées ? Que la France se proclame de  la patrie des droits de l’Homme n’interdit pas à ses citoyens de vérifier si cette promesse a été tenue au cours de son histoire. Elle leur en fait obligation. Et après examen, le verdict est sévère. Certains de vos électeurs l’ont peut-être oublié, M. Accoyer, mais la conquête de l’Algérie fut une expédition meurtrière, l’occupation de ce pays une humiliation permanente pour ses habitants et sa guerre de libération un carnage (300 000 morts) provoqué par l’obstination du colonisateur.

Mais M. Accoyer ne nous a offert que le hors d’œuvre. Parmi les nostalgiques à l’orgueil outragé, c’est la présidente du FN qui enlève le pompon. Sur sa page Facebook, elle qualifie carrément de “crime” les propos d’Emmanuel Macron. “Y a-t-il quelque chose de plus grave, quand on veut être président de la République, que d’aller à l’étranger pour accuser le pays qu’on veut diriger de crime contre l’humanité ?”, demande la candidate du FN. “En utilisant cette argumentation probablement pour des raisons bassement électoralistes, le crime, c’est M. Macron qui le commet. Il le commet contre son propre pays”. Voilà, la messe est dite. A l’unisson, la droite et l’extrême-droite assènent cette doctrine singulière selon laquelle le crime n’est pas le colonialisme, mais sa dénonciation.

Contre ces impostures réactionnaires, il faut relire ce qu’écrivait Aimé Césaire en 1955 dans son magnifique “Discours sur le colonialisme”. Il citait le colonel de Montagnac, l’un des conquérants de l’Algérie : “Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts mais bien des têtes d’hommes”. Il donnait la parole au comte d’Herisson : “Il est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis”. Il citait aussi Pierre Loti relatant dans “Le Figaro” la prise de Thouan-An (Indochine) en 1883 : “La grande tuerie avait commencé ! C’était plaisant de voir ces gerbes de balles, si facilement dirigeables, s’abattre sur eux deux fois par minute. On en voyait d’absolument fous, qui se relevaient pris d’un vertige de courir. Ils faisaient en zigzag et tout de travers cette course de la mort, se retroussant jusqu’aux reins d’une manière comique … et puis on s’amusait à compter les morts”. Eh oui, ces horreurs, elles aussi, font partie de notre histoire.

Partout, la conquête coloniale fut effroyable. Le colonisateur au drapeau tricolore l’a déshonoré, ce drapeau. Il l’a noyé dans le sang des peuples martyrisés par ceux qui prétendaient leur apporter la civilisation au bout du fusil. C’est pourquoi, partout, les peuples colonisés ont levé l’étendard de la révolte. Lassés d’être traités en objets, ils voulaient devenir “les sujets de leur propre histoire”, comme disait Lénine dans ses thèses prophétiques sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (1916). Mais en Indochine, en Algérie, à Madagascar, au Cameroun, cette révolte populaire s’est heurtée à une répression impitoyable. Pour maintenir l’ordre ancien, la machine de guerre coloniale a perpétré des crimes de masse, elle s’est livrée à d’innombrables massacres.

Lisez donc le grand Aimé Césaire, M. Accoyer, cela vous changera du Figaro-Magazine ! “Il faudrait étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette gangrène est toujours dans les têtes. Comme disait Marx à propos des atrocités commises par les Anglais en Inde en 1853, “L’hypocrisie profonde et la barbarie inhérente à la civilisation bourgeoise s’étalent sans voile devant nos yeux, en passant de son foyer natal, où elle assume des formes respectables, aux colonies où elle se présente sans voile”. Oui, c’est un fait, le crime colonial a fait voler en éclats les barrières morales que la classe dominante s’imposait ailleurs. Dire cette atrocité du crime colonial, c’est désigner avec les mots qui conviennent cette histoire douloureuse. Le colonialisme est une violence au carré, décuplée par le sentiment de supériorité raciale du colonisateur sur le colonisé. Perpétré sur les cinq continents, de Colomb à Netanyahou, le colonialisme est un crime contre l’humanité, car il nie l’humanité de celui qu’il opprime.

Bruno Guigue
né en 1962 à Toulouse, est un ancien haut fonctionnaire, chercheur en philosophie politique et analyste politique français.

jeudi 16 février 2017

Oui la colonisation est un crime contre l'humanité !

Oui la colonisation est un crime contre l'humanité ! 

N'en déplaise à la droite et à l'extrême droite Emmanuel Macron a raison de qualifier la colonisation de crime contre l'humanité !



Commerçant britannique porté par une femme du Sikkim (Bengal) 1903

 
Benjamin Stora explique dans Libération les ressorts de la question de la colonisation dans l'inconscient collectif français :

Libération - Kim Hullot-Guiot

«La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes.»

La phrase, prononcée à la télévision algérienne, est d’Emmanuel Macron. Des propos qui ont provoqué de vives réactions, notamment à droite et à l’extrême droite. Même la ministre écologiste Emmanuelle Cosse a réagi ce jeudi matin en niant le terme de «crime contre l’humanité». Pour l’historien Benjamin Stora, les propos du leader d’En marche n’ont pourtant rien de révolutionnaire.


Libération : Dans une interview à la télévision algérienne, Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité, une vraie barbarie». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Benjamin Stora : C’est une vieille question. La qualification de crime de guerre, de crime contre l’humanité, a affleuré sans arrêt dans les débats. Pendant la guerre d’Algérie, déjà, il y avait toute une série d’arguments avancés par des avocats, principalement ceux du Front de libération nationale (FLN), mais aussi par l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui a écrit la Torture dans la République.

Il y a aussi eu le grand rapport de Michel Rocard, qui sortait alors de l’ENA, en 1960, qui a fait scandale, parce qu’il y expliquait que plus de 2,5 millions de paysans algériens avaient été déplacés de force par l’armée, c’est énorme ! Lui-même, Michel Rocard, parlait de crime contre l’humanité, parce que certains de ces paysans sont morts de faim. En 2000, Germaine Tillion, Vidal-Naquet, et d’autres ont publié dans l’Humanité un appel qui demandait à Lionel Jospin de reconnaître les crimes de la guerre d’Algérie - même si ça ne portait pas sur l’ensemble de la colonisation.

Dans les travaux des historiens consacrés à la conquête de l’Algérie, où des crimes ont été commis, il est raconté des massacres, des atrocités, que n’importe quel historien sérieux connaît. Des livres comme ceux de François Maspero ou de Marc Ferro sont là depuis longtemps, mais ils n’ont pas conquis la sphère politique.

Libération : L’Algérie semble être le passage quasi-obligé des candidats à la présidentielle. Le fait qu’il ait fait cette déclaration en Algérie est-il différent de s’il l’avait faite depuis la France ?

Benjamin Stora : Il faut lui poser la question. Mais à l’heure du numérique, le coup des frontières, c’est fini ! Une parole prononcée à Alger, Rabat, Dakar ou Paris, est reçue de la même manière.

Libération : Les réactions de la droite et de l’extrême droite ont été très virulentes, parlant par exemple de «crachats inacceptables sur la tombe des Français […] et des harkis morts pour la France». Même François Fillon, qui avait pourtant qualifié lui-même à la Réunion la colonisation «d’abomination», s’en est pris à lui. Pourquoi est-ce encore un sujet de crispation si fort?

Benjamin Stora : Ce sont des réactions convenues. Quand on parle de l’histoire française, on parle des Lumières, de l’aspect glorieux, de la République égalitaire, etc. Mais très peu des zones d’ombre alors que l’histoire française en a.

En 2005, la loi obligeant les professeurs à évoquer l’aspect «positif» de la colonisation a provoqué un tollé - elle a été retirée après. Lorsque l’on évoque ces sujets dans la classe politique française, on ne prend pas la peine de demander leur point de vue à ceux qui l’ont vécu.

En Algérie, la question a toujours existé, comme dans d’autres pays, où la condamnation de la colonisation a été très forte, très développée par les historiens tunisiens, marocains, africains, indochinois… Il n’y a pas un seul historien de ces pays qui s’est amusé à dire que la colonisation avait été positive !

Libération : Est-ce que tous ces responsables politiques, quand ils évoquent l’histoire coloniale de la France, au fond, n’ont pas un peu de mal à admettre que la France n’est plus un empire ?

Benjamin Stora : Pour la droite et l’extrême droite, l’histoire de France doit être prise comme un bloc. Mais à vouloir prendre l’histoire comme un bloc, on finirait par dire qu’il ne s’est rien passé sous Vichy, ou sous la Révolution française, comme le massacre des Vendéens ! C’est une lecture à géométrie variable. Il y a aussi, à l’extrême droite, le maintien de la mémoire impériale et le refus de l’Algérie indépendante.

On ne s’intéresse qu’à une fraction, qui a souffert de la fin de cette histoire, les harkis et les rapatriés. Il faudrait demander leur point de vue aux anciens colonisés, qui ont vécu dans des sociétés coloniales pendant longtemps. Il faut prendre en compte tous les aspects : c’est vrai que la France a apporté les droits de l’Homme et a oublié de les lire [comme l’a également déclaré Emmanuel Macron, ndlr]. Cette contradiction entre les principes d’égalité affichés et leur non-application est d’ailleurs à la base des nationalismes anti-coloniaux. Si on ne peut toujours pas admettre cela soixante ans après…

Libération : En 2007, Nicolas Sarkozy avait qualifié «le système colonial» d’«injuste». Lors d’une visite à Alger, en 2012, François Hollande avait reconnu «les souffrances infligées par la colonisation au peuple algérien». Il n’avait pas présenté d’excuses. Emmanuel Macron va plus loin puisqu’il parle de présenter «nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes». Est-ce, à votre avis, important que la France présente des excuses ?

Benjamin Stora : Les excuses, c’est une chose que les Américains ont faite sur le Vietnam, ce qui leur a permis de rouvrir une ambassade et de devenir le premier partenaire commercial du Vietnam. C’est un pragmatisme qui n’existe pas en France.

Au fond, c’est un problème de génération. Pour un jeune d’aujourd’hui, de 25, 35ans, il y a une évidence dans la reconnaissance des actes qui ont été commis, c’est comme le rapport à l’esclavage, à la Shoah, ce sont des séquences historiques admises.

Pour la guerre d’Algérie et la colonisation, on n’en est pas là. Il y a un décalage entre la jeunesse et une partie de la classe politique, c’est pour ça que Macron, qui a 38 ans, l’a dit sur le ton de l’évidence. Et ça soulève de l’embarras à gauche, de la protestation à droite et de la virulence à l’extrême droite.min Stora, les propos du leader d’En marche n’ont pourtant rien de révolutionnaire.



Benjamin Stora né le 2 décembre 1950 à Constantine en Algérie est un historien français, professeur à l'université Paris-XIII et inspecteur général de l'Éducation nationale depuis septembre 2013. Ses recherches portent sur l'histoire de l'Algérie et notamment la guerre d'Algérie et plus largement sur l'histoire du Maghreb contemporain, ainsi que sur l'Empire colonial français et l'immigration en France. Il assure la présidence du conseil d'orientation de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration depuis août 2014.

mercredi 15 février 2017

Rassemblement contre la corruption des élus Dimanche à Paris et en région






Vincent Galtier à l'initiative de l'appel à manifester explique :

Je suis un citoyen encarté nulle part, d'aucun parti ni syndicat ni association ni collectif ni d'aucune organisation. Je suis seul, et maintenant avec vous. Facebook est un formidable moyen de nous rassembler autour de nos revendications mais sa limite est l'évolution démocratique du mouvement : c'est pourquoi je propose qu'une AG suive directement ce rassemblement pacifique, citoyen, non récupéré, où je souhaite que les citoyens encartés ou syndiqués se présentent comme tels, pour que le collectif que nous formons puisse décider de son avenir en tant que collectif démocratique. 
MERCI A TOUS

La déclaration du rassemblement s'est faite conjointement avec les organisateurs déclarants de Nuit Debout aujourd'hui Mardi 14 Février à 18h39.
Le dépôt de déclaration dans les délais, sans notification d'interdiction de la préfecture vaut "autorisation par défaut" de se rassembler. Non-interdiction, si vous préférez. Le contexte social actuel resserre ces notions. En revanche, la préfecture peut tout à fait nous interdire de nous rassembler au dernier moment. Sachez-le, mais en attendant, MOBILISONS-NOUS, ET MERCI A TOUS.