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jeudi 16 février 2017

Oui la colonisation est un crime contre l'humanité !

Oui la colonisation est un crime contre l'humanité ! 

N'en déplaise à la droite et à l'extrême droite Emmanuel Macron a raison de qualifier la colonisation de crime contre l'humanité !



Commerçant britannique porté par une femme du Sikkim (Bengal) 1903

 
Benjamin Stora explique dans Libération les ressorts de la question de la colonisation dans l'inconscient collectif français :

Libération - Kim Hullot-Guiot

«La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes.»

La phrase, prononcée à la télévision algérienne, est d’Emmanuel Macron. Des propos qui ont provoqué de vives réactions, notamment à droite et à l’extrême droite. Même la ministre écologiste Emmanuelle Cosse a réagi ce jeudi matin en niant le terme de «crime contre l’humanité». Pour l’historien Benjamin Stora, les propos du leader d’En marche n’ont pourtant rien de révolutionnaire.


Libération : Dans une interview à la télévision algérienne, Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité, une vraie barbarie». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Benjamin Stora : C’est une vieille question. La qualification de crime de guerre, de crime contre l’humanité, a affleuré sans arrêt dans les débats. Pendant la guerre d’Algérie, déjà, il y avait toute une série d’arguments avancés par des avocats, principalement ceux du Front de libération nationale (FLN), mais aussi par l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui a écrit la Torture dans la République.

Il y a aussi eu le grand rapport de Michel Rocard, qui sortait alors de l’ENA, en 1960, qui a fait scandale, parce qu’il y expliquait que plus de 2,5 millions de paysans algériens avaient été déplacés de force par l’armée, c’est énorme ! Lui-même, Michel Rocard, parlait de crime contre l’humanité, parce que certains de ces paysans sont morts de faim. En 2000, Germaine Tillion, Vidal-Naquet, et d’autres ont publié dans l’Humanité un appel qui demandait à Lionel Jospin de reconnaître les crimes de la guerre d’Algérie - même si ça ne portait pas sur l’ensemble de la colonisation.

Dans les travaux des historiens consacrés à la conquête de l’Algérie, où des crimes ont été commis, il est raconté des massacres, des atrocités, que n’importe quel historien sérieux connaît. Des livres comme ceux de François Maspero ou de Marc Ferro sont là depuis longtemps, mais ils n’ont pas conquis la sphère politique.

Libération : L’Algérie semble être le passage quasi-obligé des candidats à la présidentielle. Le fait qu’il ait fait cette déclaration en Algérie est-il différent de s’il l’avait faite depuis la France ?

Benjamin Stora : Il faut lui poser la question. Mais à l’heure du numérique, le coup des frontières, c’est fini ! Une parole prononcée à Alger, Rabat, Dakar ou Paris, est reçue de la même manière.

Libération : Les réactions de la droite et de l’extrême droite ont été très virulentes, parlant par exemple de «crachats inacceptables sur la tombe des Français […] et des harkis morts pour la France». Même François Fillon, qui avait pourtant qualifié lui-même à la Réunion la colonisation «d’abomination», s’en est pris à lui. Pourquoi est-ce encore un sujet de crispation si fort?

Benjamin Stora : Ce sont des réactions convenues. Quand on parle de l’histoire française, on parle des Lumières, de l’aspect glorieux, de la République égalitaire, etc. Mais très peu des zones d’ombre alors que l’histoire française en a.

En 2005, la loi obligeant les professeurs à évoquer l’aspect «positif» de la colonisation a provoqué un tollé - elle a été retirée après. Lorsque l’on évoque ces sujets dans la classe politique française, on ne prend pas la peine de demander leur point de vue à ceux qui l’ont vécu.

En Algérie, la question a toujours existé, comme dans d’autres pays, où la condamnation de la colonisation a été très forte, très développée par les historiens tunisiens, marocains, africains, indochinois… Il n’y a pas un seul historien de ces pays qui s’est amusé à dire que la colonisation avait été positive !

Libération : Est-ce que tous ces responsables politiques, quand ils évoquent l’histoire coloniale de la France, au fond, n’ont pas un peu de mal à admettre que la France n’est plus un empire ?

Benjamin Stora : Pour la droite et l’extrême droite, l’histoire de France doit être prise comme un bloc. Mais à vouloir prendre l’histoire comme un bloc, on finirait par dire qu’il ne s’est rien passé sous Vichy, ou sous la Révolution française, comme le massacre des Vendéens ! C’est une lecture à géométrie variable. Il y a aussi, à l’extrême droite, le maintien de la mémoire impériale et le refus de l’Algérie indépendante.

On ne s’intéresse qu’à une fraction, qui a souffert de la fin de cette histoire, les harkis et les rapatriés. Il faudrait demander leur point de vue aux anciens colonisés, qui ont vécu dans des sociétés coloniales pendant longtemps. Il faut prendre en compte tous les aspects : c’est vrai que la France a apporté les droits de l’Homme et a oublié de les lire [comme l’a également déclaré Emmanuel Macron, ndlr]. Cette contradiction entre les principes d’égalité affichés et leur non-application est d’ailleurs à la base des nationalismes anti-coloniaux. Si on ne peut toujours pas admettre cela soixante ans après…

Libération : En 2007, Nicolas Sarkozy avait qualifié «le système colonial» d’«injuste». Lors d’une visite à Alger, en 2012, François Hollande avait reconnu «les souffrances infligées par la colonisation au peuple algérien». Il n’avait pas présenté d’excuses. Emmanuel Macron va plus loin puisqu’il parle de présenter «nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes». Est-ce, à votre avis, important que la France présente des excuses ?

Benjamin Stora : Les excuses, c’est une chose que les Américains ont faite sur le Vietnam, ce qui leur a permis de rouvrir une ambassade et de devenir le premier partenaire commercial du Vietnam. C’est un pragmatisme qui n’existe pas en France.

Au fond, c’est un problème de génération. Pour un jeune d’aujourd’hui, de 25, 35ans, il y a une évidence dans la reconnaissance des actes qui ont été commis, c’est comme le rapport à l’esclavage, à la Shoah, ce sont des séquences historiques admises.

Pour la guerre d’Algérie et la colonisation, on n’en est pas là. Il y a un décalage entre la jeunesse et une partie de la classe politique, c’est pour ça que Macron, qui a 38 ans, l’a dit sur le ton de l’évidence. Et ça soulève de l’embarras à gauche, de la protestation à droite et de la virulence à l’extrême droite.min Stora, les propos du leader d’En marche n’ont pourtant rien de révolutionnaire.



Benjamin Stora né le 2 décembre 1950 à Constantine en Algérie est un historien français, professeur à l'université Paris-XIII et inspecteur général de l'Éducation nationale depuis septembre 2013. Ses recherches portent sur l'histoire de l'Algérie et notamment la guerre d'Algérie et plus largement sur l'histoire du Maghreb contemporain, ainsi que sur l'Empire colonial français et l'immigration en France. Il assure la présidence du conseil d'orientation de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration depuis août 2014.

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