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mercredi 22 mai 2013

A lire ... Les intellectuels intègres



L'intégrité est au coeur des débats publics. Les médias dénoncent, à juste titre, les responsables politiques qui la trahissent. Pourtant, dans le domaine des idées, ils sont trop souvent moins exigeants, s'accommodant voire faisant la promotion d’imposteurs médiatiques. 
Or, de même que la corruption de quelques responsables politiques ne doit pas jeter l'opprobre sur la démocratie, l'existence des « intellectuels faussaires » ne doit pas masquer le formidable apport à la société des « intellectuels intègres ». Références incontestables dans leurs disciplines scientifiques, ils ont bâti une œuvre véritable sur le long terme tout en restant des modèles d’honnêteté intellectuelle. Leur qualité humaine indéniable est fondée sur le respect des autres. 
À la fois penseurs, défricheurs et éclaireurs, les 15 personnalités d'exception choisies ne transigent ni avec la vérité ni avec leurs convictions même – et surtout – s'il faut aller à contre-courant. Pour eux, la fin ne justifie pas les moyens, la cause qu’ils défendent est plus importante que leur personne. Ils sont prêts à prendre des risques pour ce qu'ils pensent être juste et refusent de suivre les modes. 

Organisé en une série de portraits suivis de longs entretiens, Les Intellectuels intègres offre une réflexion unique et stimulante sur la place et le rôle des intellectuels dans notre pays à travers le parcours et le témoignage de Stéphane Hessel, Jean Baubérot, Esther Benbassa, Rony Brauman, Régis Debray, Alfred Grosser, Olivier Mongin, Edgar Morin, Emmanuel Todd, Tzvetan Todorov, Jean-Christophe Victor, Michel Wieviorka, Catherine Wihtol de Wenden, Dominique Wolton et Jean Ziegler. 

Auteur Pascal Boniface
Editeur Gawsewitch Jean-Claude
Date de parution  07/05/2013
Prix 21,90 Euros


Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d'études européennes de l'université Paris VIII. Il est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages sur les relations internationales. Il a publié aux mêmes éditions Les Intellectuels faussaires qui lui a valu un grand succès auprès du public et quelques solides inimitiés dans le milieu médiatique.


Extraits 


Pascal Boniface : Vos adversaires vous reprochent de vous concentrer sur la question palestinienne et de ne pas vous occuper d'autres drames qui secouent la planète.
Stéphane Hessel : Oui, ils ont raison. On choisit toujours. On ne peut pas s'occuper de tout. Ma réponse c'est de dire << il se trouve que j'ai été, à de nombreuses reprises ces dernières années à Gaza, en Cisjordanie, en Israël, et que cela me préoccupe. Vous avez raison, il y a d'autres graves problèmes dans le monde auxquels je ne suis nullement indifférent et sur lesquels j'adopte d'ailleurs une position qui vaut pour tous, qui est le respect du droit international.>> [...].


Pascal Boniface : Aussi bien dans ta vie intellectuelle que dans ta vie politique, que penses-tu de l'argument selon lequel la fin justifie les moyens et que l'on peut, pour la bonne cause, utiliser des arguments fallacieux voire mensongers ?
Esther Benbassa :  D'abord, ma pensée ne fonctionne pas de cette façon là, et c'est sans doute un tort. Je ne crois pas avoir jamais, en toute conscience, utilisé d'arguments fallacieux pour arriver à mes fins. Moi, si on ne m'élit pas, je resterai la même, je pourrai toujours continuer. Pas comme une riche, c'est vrai, mais je ne suis pas devenue spécialement riche en devenant sénatrice. Je ne défend pas Areva, personne ne me donne d'argent pour cela, je n'ai pas de lobbies fortunés qui stimulent mon action. Les Arabos-musulmans en butte au racisme, le droit de vote des étrangers, les gens du voyage, les prostitué(e)s, les gens que j'aide au quotidien pour leur régularisation ou leur naturalisation, les femmes que j'essaie de protéger quand on les met à la porte de chez elles avec leurs enfants parce qu’elles ne peuvent pas payer leur loyer, tout cela ne m'apporte pas de voix [...].


Pascal Boniface : Comment fais-tu le lien entre ta réflexion intellectuelle et les engagements que tu as pris, notamment à propos des conflits récents (Kosovo, Irak, Lybie) ? Qu'est-ce qui te mène, de la réflexion dans ton bureau quand tu écris un livre ou que tu en lis pour réfléchir à ces questions, à la rédaction d'une tribune par exemple ?
Tzvetan Todorov : Je me souviens, et c'est peut-être là qu'à commencé cet engagement plus actif, d'une tribune que j'ai écrite au moment de la guerre d'Irak. [...] Bien sûr, je partais de la critique des régimes totalitaires, pour moi incontournable. En même temps, et pour la première fois peut-être, je me suis aperçu qu'elle ne me suffisait pas. Je ne pouvais plus, dix ans après la chute des régimes communistes, m'en tenir au constat que la démocratie leur était préférable. Je m'apercevais bien que, même en l’absence de la menace totalitaire, tout n'allait pas pour le mieux dans notre monde ! Je suis devenu de plus en plus sensible aux dangers que recelait le régime démocratique lui-même.[...] Je me suis rendu compte qu'au nom de la démocratie on pouvait détourner et pervertir les idéaux démocratiques.[...].

Pascal Boniface : Pourtant dans le débat actuel il y a des intellectuels, dont toi, qui contestent l'ordre établi et d'autres dont la mission semble plutôt la conforter.
Jean Ziegler : C'est le choix mystérieux de chacun. Nous vivons sous un ordre cannibale du monde. Toutes les cinq secondes un enfants en dessous de 10 ans meurt de faim, 57 000 personnes meurent de faim chaque jour et près de 1 milliard d'êtres humains sur les 7 que nous sommes sont en permanence et gravement sous-alimenté. Le rapport sur l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde de la FAO (Food and Agriculture Organization), qui chaque année donne les chiffres des victimes, dit que l'agriculture mondiale pourrait nourrir normalement, sans problème, 12 milliards d'êtres humains, donc presque le double de l'humanité actuelle [...].


Pascal Boniface : Est-ce que ce n'est pas aussi désespérant pour un intellectuel qui essaie de mieux faire comprendre les enjeux sociétaux ? Et d'autre part puisque tu disais que l'espace public permettrait de plus en plus de démentir, à quoi cela sert, si la malhonnêteté n'est pas sanctionnée, de savoir que quelqu'un est malhonnête ?
Michel Wieviorka : Les gens ont besoin de rêver, d'être flattés, d'être entendus, et cela vaut aussi pour l'intellectuel qui raisonne, mais qui souhaite aussi être entendu, trouver son public, une audience. Du coup, un démagogue, un populiste, peut faire des ravages [...].



Stéphane HesselStéphane Hessel, le vieux résistant, idole des jeunes
Nous sommes devant une sorte de timidité historique
Stéphane Hessel né le 20 octobre 1917 à Berlin, mort le 27 février 20131,2 à Paris, est un diplomate, ambassadeur, résistant, écrivain et militant politique français. Né Allemand, Stéphane Hessel arrive en France à l’âge de 8 ans. Naturalisé français en 1937, normalien, il rejoint les Forces françaises libres, en 1941, à Londres. Résistant, il est arrêté et déporté à Buchenwald, qu’il parvient à quitter vivant grâce à une substitution d’identité avec un prisonnier mort du typhus, puis s’évade lors de son transfert du camp de Dora à celui de Bergen-Belsen. Il entre au Quai d’Orsay en 1945, et fait une partie de sa carrière diplomatique auprès des Nations unies. Homme de gauche et européen convaincu, il est ami de Pierre Mendès France et de Michel Rocard. Stéphane Hessel est connu du grand public pour ses prises de position concernant les droits de l’homme, la question des « sans-papiers » et le conflit israélo-palestinien, ainsi que pour son manifeste Indignez-vous ! paru en 2010, au succès international.


Jean Baubérot
Jean Baubérot, la laïcité caustique
Il existe une tension réelle entre objectivité et engagement
Jean Baubérot né le 26 juillet 1941 à Châteauponsac (Haute-Vienne), est un historien et sociologue français, professeur émérite spécialiste de la sociologie des religions et fondateur de la sociologie de la laïcité.
Après avoir occupé la chaire d'« Histoire et sociologie du protestantisme » (1978-1990), il est titulaire de la chaire d'« Histoire et sociologie de la laïcité » (depuis 1991) à l’École pratique des hautes études dont il est le président d'honneur et professeur émérite. Il a écrit vingt ouvrages, dont un roman historique. Il est le coauteur d'une Déclaration internationale sur la laïcité signée par 250 universitaires de 30 pays.




Esther Benbassa
Esther Benbassa, la cosmopolite tenace
Je préfère rester une intellectuelle distanciée par rapport à sa tribu
Esther Benbassa née le 27 mars 1950 à Istanbul, est une universitaire française, spécialiste de l'histoire du peuple juif et de l'histoire comparée des minorités, et une femme politique, sénatrice du mouvement Europe Écologie Les Verts.







Rony Brauman
Rony Brauman, l'humanitaire conceptuel
Les accusations d'ordre moral sont plus puissantes lorsqu'elles viennent de la gauche
Rony Brauman est un médecin (spécialisé en pathologie tropicale) de nationalité française né le 19 juin 1950 à Jérusalem (Israël). Il est principalement connu pour son rôle dans l'humanitaire.





Régis Debray
Régis Debray, le philosophe désabusé mais combatif
Je suis frappé par l'assèchement rhétorique du discours politique
Régis Debray né le 2 septembre 1940 à Paris, est un écrivain, haut fonctionnaire et universitaire français, promoteur de la médiologie.







Alfred Grosser
Alfred Grosser, le pédagogue malicieux
'ai toujours voulu susciter la compréhension pour le point de vue opposé
Alfred Grosser est un politologue, sociologue et historien français d'origine allemande né le 1er février 1925 à Francfort-sur-le-Main.




Olivier Mongin
Olivier Mongin, l'antitotalitaire lucide
L'intellectuel généraliste est un citoyen qui n'a pas renoncé à l'idée d'intérêt général et de culture générale
Olivier Mongin est un écrivain et essayiste français, né à Paris en 1951. Il a été directeur de la revue Esprit de 1988 à décembre 2012.






Edgar Morin
Edgar Morin, le penseur de la complexité
Comprendre, c'est rentrer dans les raisons d'autrui
Edgar Morin né à Paris le 8 juillet 1921, est un sociologue et philosophe français. Il définit sa façon de penser comme « coconstructiviste » en précisant : « c’est-à-dire que je parle de la collaboration du monde extérieur et de notre esprit pour construire la réalité ».





Emmanuel Todd
Emmanuel Todd, le démographe prophétique
Je suis devenu intellectuel à l'insu de mon plein gré
Emmanuel Todd né le 16 mai 1951 à Saint-Germain-en-Laye, est un historien français, anthropologue, démographe, sociologue et essayiste. Ingénieur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED), il développe l'idée que les systèmes familiaux jouent un rôle déterminant dans l'histoire et la constitution des idéologies religieuses et politiques.




Tzvetan Todorov
Tzvetan Todorov, l'esprit de discidence
Sortir du cercle étroit de consensus politico-médiatique français
Tzvetan Todorov né le 1er mars 1939 à Sofia, est un essayiste, philosophe et historien français d'origine bulgare. Il a dû fuir la Bulgarie soviétique.




Jean-Christophe Victor
Jean-Christophe Victor, l'arpenteur du globe
Je ne suis pas là pour heurter, mais pour enseigner et faire réfléchir
Jean-Christophe Victor né le 30 mai 19471, est un enseignant français expert en géopolitique et en relations internationales, docteur en ethnologie (Institut d'ethnologie du Musée de l'Homme) et diplômé de chinois à l'INALCO (École des langues orientales). Il est le fils de l’explorateur Paul-Émile Victor et de la productrice de télévision, Éliane Victor.  


Michel Wieviorka
Michel Wieviorka,  les sciences sociales comme arme politique
L'intégrité c'est accepter d'être transformé soit par la pratique sociale soit par les analyses des autres
Michel Wieviorka né le 23 août 1946 à Paris) est un sociologue français.




Catherine Wihtol de Wenden
Catherine Wihtol de Wenden, politologue tranquille et combattante
Il y a un très grand académisme dans notre métier et beaucoup de conservatisme
Catherine Wihtol de Wenden est une politologue et une sociologue française. Directrice de recherche au CNRS (CERI) et docteur en science politique (Institut d'études politiques de Paris), elle est une spécialiste des migrations internationales sur lesquelles depuis une vingtaine d'années, elle a mené différents travaux, conduit de nombreuses études de terrain, et dirigé différentes recherches comparatives, surtout européennes. Elle a été consultante auprès de l'OCDE, du Conseil de l'Europe, de la Commission européenne et "expert externe" auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Elle est aussi membre de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Dominique Wolton
Dominique Wolton, le penseur indiscipliné
Il n'y a jamais eu autant d'outils pour capter la réalité et jamais eu autant de distance entre les hommes politiques et la réalité. Idem pour les journalistes
Dominique Wolton né le 26 avril 1947 à Douala au Cameroun, est un intellectuel français, chercheur en sciences de la communication spécialiste des médias, de l'espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société. Ses recherches contribuent à valoriser une conception de la communication qui privilégie l'homme et la démocratie plutôt que la technique et l'économie.

Jean Ziegler
Jean Ziegler, l'éternel révolté 
Je résiste aussi par conviction d'être parfois utile et grâce aux témoignages que je reçois
Jean Ziegler né Hans Ziegler, le 19 avril 1934 à Thoune dans le canton de Berne en Suisse, est un homme politique, altermondialiste et sociologue suisse. Il a été rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dans lesquels il analyse notamment cette question, et est également connu pour cette phrase : « l'agriculture mondiale peut aujourd'hui nourrir 12 milliards de personnes [...]. Il n'existe donc à cet égard aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné. »

jeudi 2 mai 2013

Exposition Vies d’exil ... plus que quelques jours !

Vies d’exil. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie 1954-1962. 


Attention, dernier jour dimanche 19 mai !
(Entrée gratuite le 1er dimanche de mai)





Synopsis de l’exposition 

Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration propose avec l’exposition Vies d’exils, des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie une plongée inédite dans le quotidien des travailleurs algériens en France entre 1954 et 1962. Pendant cette période, l’immigration, loin de ralentir, s’accélère au contraire, la population algérienne passant au cours de la période de 220 000 à 350 000 personnes.
Fait nouveau dans l’histoire de l’immigration algérienne : il ne s’agit plus exclusivement d’une immigration masculine, et les familles rejoignent peu à peu leurs proches dans l’exil. Entre conflits nationalistes et répression policière, le difficile quotidien n’entame cependant pas la volonté des immigrés de vivre en s’insérant dans la société de consommation qui se profile alors en métropole.

Cette exposition se propose d’aborder les diverses réalités de vie des migrants algériens à travers les questions de la vie sociale - travail, école, logement, loisirs… -, de l’accueil accordé à l’immigration algérienne, entre méfiance et rejet, et de la solidarité envers leur engagement politique et syndical. En effet, la France métropolitaine de l’époque vit successivement au rythme de la guerre d’Algérie, de la vie culturelle et intellectuelle, des événements d’octobre 1961 et enfin, de l’indépendance.

Une riche sélection d’objets, d’œuvres d’art, de documents et de photographies, issue de fonds d’archives, et de collections tant institutionnelles que privées illustrera ces différentes thématiques.

Une production de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, sur une proposition de Benjamin Stora et Linda Amiri, commissaires scientifiques, assistés par Hedia Yelles-Chaouche.

La scénographie : L’Atelier Caravane est créé en 1993 par Alexandre Fruh, graphiste, scénographe et
muséographe. À ses côtés, travaillent également Den Bazin, conseillère en communication scientifique et illustratrice et Gille Cavas, assistant scénographe et concepteur 3D.

Les commissaires de l'exposition

Benjamin Stora : Né à Constantine en 1950, docteur d’État en Histoire et Sociologie, Benjamin Stora est Professeur des universités. Il enseigne à l’université Paris XIII et à l’Inalco (Langues orientales, Paris). Il a publié une trentaine d’ouvrages sur la thématique algérienne.














Linda Amiri : Spécialiste de l’histoire de l’immigration et de l’histoire du mouvement ouvrier, Linda Amiri prépare une thèse sur la Fédération de France du Front de libération nationale (1954-1962) sous la direction de Serge Berstein & Benjamin Stora. Elle est aujourd’hui rattachée au Centre d’Histoire de Sciences-Po et du laboratoire de recherches "Frontières, acteurs et représentations de l'Europe" (FARE) de l’IEP de Strasbourg.




Synthèse historique : L’immigration algérienne en France 


Contrairement à une idée reçue, l’histoire des migrations de l’Algérie vers la France ne commence pas avec la seconde moitié du vingtième siècle. Elle s’inscrit dans un temps bien plus long, même si la période des Trente Glorieuses et le moment des décolonisations connaissent l’accélération de ce courant migratoire.
Guerre 1914-1918. Soldats nord-africains (Nord de la France) 
© Roger-Viollet
Jusqu’aux années 1930, l’Afrique du Nord fut une terre d’immigration (et de migrations interrégionales) plus que d’émigration. On sait combien l’Algérie coloniale, notamment, attira des centaines de milliers d’Européens. Mais l’aggravation de la paupérisation des populations autochtones et rurales, couplée à l’augmentation de la population, provoquent, dès la fin du XIXe siècle, un double mouvement d’exode rural et de départ hors des frontières, dans un contexte colonial puisque l’Algérie est colonie française depuis 1830, découpée en départements dès 1848.
Foyer de travailleurs nord-africains, Puteaux, 1950 
© Paul Almasy / Akg-images 
A part quelques personnalités politiques ou culturelles (par exemple Abd-el-Kader), les premiers migrants algériens en France sont très majoritairement des travailleurs. À la veille de la Première Guerre mondiale, ils sont quelques milliers qui travaillent notamment dans les usines de Marseille. C’est la Grande Guerre qui amorce véritablement le mouvement migratoire vers la France. Près de 500 000 soldats et travailleurs d’Algérie, mais aussi du Maroc et de Tunisie, sont recrutés par le Service de l’Organisation des Travailleurs Coloniaux, créé en 1916 au sein du Ministère de la Guerre. Les pouvoirs publics français renvoient en 1918 travailleurs et soldats dans leurs colonies d’origine, mais certains réussissent à rester en France. Dès 1921, plus de 35 000 sujets algériens sont recensés en France, leur nombre atteint plus de 85 000 en 1936, avant de redescendre à 72 000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et seulement 22 000 en 1946.

Algérien à Paris - 12 août 1954 paveur de rues
© Gerald Bloncourt
Bidonville de Nanterre, 1956 © Jean Pottier 
Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration
Ce mouvement migratoire de l’entre-deux-guerres s’inscrit dans une période de très forte immigration, puisque la France est, dans les années 1920, en proportion le premier pays d’immigration du monde, devant les Etats-Unis. Les immigrants viennent alors majoritairement d’Europe, surtout d’Italie ou de Pologne. Au sens strict, les « sujets » algériens ne sont pas des « immigrés », puisqu’ils ne sont pas des étrangers : ils ont la nationalité française, mais ne disposent pas des droits liés à la citoyenneté. Cependant, loin de leur faciliter leur installation en France, cela la complique plutôt, puisqu’une réglementation stricte soumet les sorties des ressortissants des territoires colonisés à autorisation.




La libre circulation pour les «sujets» algériens est décidée par le Front Populaire en 1936, mais suspendue dès 1937, et le principe n’en sera rétabli qu’en 1947. La population algérienne fait l’objet d’un strict contrôle par les pouvoirs publics. Le Service des affaires indigènes nordafricaine et une brigade de police nord-africaine sont créés en métropole en 1925. Cette surveillance policière s’accompagne d’une volonté d’intervention sociale, manifestés notamment par la création de la Grande Mosquée de Paris en 1926 et de l’hôpital franco-musulman de Bobigny en 1935.

Elève algérien à l'école primaire
de l'Observatoire, Saint-Chamond-sur-Loire, 1957.
Abdelkader Zennaf est au deuxième rang
en partant du haut, le deuxième élève à
la droite de l'instituteur. © Collection particulière





Le café de la rue Maître Albert 1955. 
© Pierre Boulat
L’immigration de l’entre-deux-guerres est surtout une immigration de travail, très majoritairement masculine et jeune, comprenant encore peu d’immigration familiale, et marquée par un fort taux de rotation des immigrants. A plusieurs reprises, les retours l’emportent sur les départs, notamment au moment de la crise de 1929. C’est aussi dans cette émigration que se forment la plupart des leaders nationalistes (voir à ce sujet les travaux de B. Stora). Les migrations vers la France reprennent à partir de 1946. Elles sont facilitées par la liberté de circulation, instituée à partir de 1947 pour les Algériens.
La guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), même si elle ralentit légèrement dans un premier temps les nouvelles entrées, ne marque aucun temps d’arrêt dans les migrations algériennes. Au contraire.

Manifestation des travailleurs algériens.
Paris, 17 octobre 1961 © Roger-Viollet
Le jour de l’indépendance dans le bidonville
de La Folie à Nanterre.
Photo prise par Monique Hervo © Monique Hervo
Au cours de ces huit années de conflit, le nombre des Algériens présent sur le territoire métropolitain passe de 211 000 en 1954 à 350 000 en 1962. L’année 1962 (et dans une moindre mesure les suivantes) est aussi marquée par l’exil définitif de plus d’un million de Français d’Algérie et de dizaines de milliers de harkis (musulmans français d’Algérie supplétifs de l’armée française).
En 1962, 16% de la population étrangère en France est de nationalité algérienne. Les départs d’Algérie
plafonnent à partir de 1964. Au printemps 1965, le cap de 600 000 Algériens en France est atteint.Les années 1950 à 70 voient plusieurs modifications importantes : jusque-là migrations souvent temporaires, elles deviennent des migrations d’installation, beaucoup plus familiales qu’elles ne l’étaient jusque-là. Cet aspect s’est renforcé depuis 1974 et l’arrêt officiel de l’immigration de travail.
Famille algérienne logée
dans un appartement neuf à Gennevilliers, 1955.
 © Pierre Boulat / Cosmos

Depuis plus d’un siècle, la France est donc marquée par une présence algérienne. La société française dans son ensemble a développé de très nombreuses représentations de cette présence, tandis que la culture algérienne a modifié en retour la culture française.
Pour en savoir plus sur l’immigration algérienne pendant la guerre d’Algérie : Peggy Derder, Immigration algérienne et guerre d’indépendance, co-édition La Documentation française – Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 2012, 71 pages.


Terminologie : les mots de la guerre d’Algérie et de l’immigration algérienne 


  • Événements, guerre d’Algérie, guerre d’indépendance, guerre de libération. 
Le terme « événements» correspond à la manière officielle de désigner le conflit. On parle aussi
d’ « opérations de maintien de l’ordre » ou de « pacification » pour évoquer les opérations militaires menées sur le territoire algérien. Parler de guerre ou de conflit reviendrait pour les autorités françaises à reconnaître l’Algérie comme une nation, et non un territoire français.
Si le terme « guerre d’Algérie » est utilisée très tôt, par les contemporains eux-mêmes et les militaires sur le terrain, elle n’est reconnue officiellement qu’en 1999 lorsque les parlementaires adoptent le 18 octobre 1999, la loi substituant à l’expression « opérations effectuées en Afrique du nord », l’expression « Guerre d’Algérie ou combats en Tunisie et au Maroc». De nombreux historiens préfèrent aujourd’hui utiliser l’expression « guerre d’indépendance algérienne » qui contourne les camps et les idéologies et a le mérite de caractériser l’objet du conflit et pas seulement sa localisation. D’autant plus, que la guerre d’Algérie ne s’est pas jouée uniquement sur le territoire algérien. En Algérie, on parle de « guerre de libération » ou de « révolution ».

  • Indigènes, immigrés, Français musulmans d’Algérie, Algériens 
À partir de la mise en place du système colonial, et jusqu’en 1945, la population autochtone de l’Algérie est désignée sous le vocable d’ « indigènes». Le sénatus-consulte de 1865, puis l’ensemble des lois et règlements des débuts de la IIIè République, réunis sous la dénomination de « Code de l’Indigénat » ont précisé ce statut spécifique. Après la Seconde Guerre mondiale, le terme «musulmans» est utilisé et recourt donc à la référence religieuse. Sous le système colonial, qu’ils soient indigènes, sujets ou Français musulmans; les Algériens s’ils sont bien de nationalité française, ne sont pas des citoyens à part entière puisqu’ils ne disposent pas des mêmes droits. Nationalité et citoyenneté se trouvent ainsi déconnectées. Les Algériens ne sont donc ni immigrés, ni étrangers, mais pas véritablement français.

  • Qui sont les « porteurs de valises » ? 
Cette expression désigne les militants français qui soutiennent la lutte indépendantiste algérienne et apportent une aide concrète aux militants du FLN en France. Ce sont le plus souvent des militants situés à l’extrême gauche, imprégnés d’internationalisme, et appartenant aux milieux professionnels de l’Université, de l’édition, du spectacle. L’attitude de la gauche et le vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet ont précipité la création de ces réseaux.
Les plus connus sont le réseau Jeanson et le réseau Curiel. Les militants mènent diverses actions comme l’hébergement ou le déplacement de membres et cadres du FLN, et le transport de fortes sommes d’argent – le plus souvent issues des cotisations de l’immigration algérienne – destinées à l’achat d’armes et de munitions; d’où ce surnom de « porteurs de valises».
En février 1960, la police arrête une vingtaine de membres du réseau Jeanson. Le 1er octobre, les quinze principaux accusés sont condamnés à dix ans de réclusion (dont Francis Jeanson, jugé par contumace). Ils seront amnistiés par la loi du 17 juin 1966.

  • Qui sont les harkis ? 
Après le déclenchement de l’insurrection, l’armée française procède au recrutement de troupes supplétives en Algérie. Cinq catégories de formation civiles sont mises en place pour contribuer au « maintien de l’ordre » : les goumiers des groupes mobiles de police rurale transformés en groupes mobiles de sécurité (GMS), les mokhaznis chargés de la protection des Sections administratives spécialisées (SAS), les gardiens des unités territoriales, les groupes d’autodéfense (GAD) et enfin les harkis, formant des harkas(unités en mouvement), salariés embauchés localement à la journée puis au mois. Le terme harkis désigne ensuite, après l’indépendance et leur rapatriement en France, l’ensemble des supplétifs algériens. Ils représentent au total 250 000 personnes.
Des harkis opèrent également en métropole. En décembre 1959, le préfet de police Maurice Papon obtient la création de la Force de police auxiliaire, opérationnelle en janvier 1960. Surnommée les harkis de Paris, cette unité est composée de 220 supplétifs algériens recrutés en métropole parmi les immigrés récalcitrants au FLN, puis pour certains en Algérie.

  • Qui sont les Européens d’Algérie ? 
L’Algérie devient très vite après la conquête une colonie de peuplement. Elle est une terre d’immigration avant d’être une terre d’émigration. Une forte communauté, venant non seulement de la métropole mais aussi de divers pays européens, en particulier des territoires ruraux d’Europe du Sud (Espagne, Italie, Malte) s’installe. Cette population représente 150 000 personnes au début du Second Empire et 630 000 personnes en 1901. Elles se voient attribuer des terres agricoles vastes et fertiles, ce qui provoque de nombreuses révoltes locales notamment en Kabylie ou dans le sud de l’Oranie.
Seule cette population européenne jouit des droits attachés à la citoyenneté et peut participer pleinement à la vie politique (quelques rares élus algériens peuvent être associés localement à la gestion de communes mixtes). Le décret Crémieux de 1870 y adjoint les Juifs autochtones qui sont naturalisés par le même décret. À la veille de la Toussaint rouge, les Européens d’Algérie sont un peu moins d’un million d’habitants tandis que la population algérienne autochtone représente 9 millions de personnes. Les inégalités sont alors criantes. Par exemple, sur 2000 fonctionnaires du Gouvernement général d’Algérie, seuls 8 sont algériens, plus de 80% des enfants européens sont scolarisés contre 20% des enfants algériens. À l’indépendance, l’Algérie se vide de sa population européenne puisqu’en quelques mois 675 000 gagnent la métropole dans des circonstances dramatiques. En mars 1965, seuls 91 276 Français vivent en Algérie.

  • Que désigne l’expression « pieds-noirs » ? 
L’origine de cette expression est complexe. Elle sert à désigner les Européens d’Algérie. Elle est évoquée tardivement, à la fin de la guerre d’Algérie, comme élément d’identité face aux populations autochtone algérienne et métropolitaine.

  • Qui sont les soldats, appelés et rappelés ? 
En Algérie, la guerre nécessite le recours à de nombreux hommes. Les militaires dits de carrière n’étant pas en nombre suffisant. De plus, l’armée française vient de quitter l’Indochine, où huit années de guerre de décolonisation ont provoqué de nombreux morts, dont des engagés. Pour l’Algérie, l’armée fait donc appel aux réservistes et aux rappelés. La réserve se compose d’hommes volontaires. En revanche, les rappelés sont des jeunes hommes ayant effectué et terminé leur service militaire et qui doivent se tenir disponibles pour un éventuel rappel pendant trois années. En 1956,suite au vote des pouvoirs spéciaux et au recours au contingent, de nombreux rappelés sont mobilisés, non sans heurts.
De nombreuses manifestations ont lieu dans les gares pour protester contre les départs des soldats. L’engagement en Algérie est tel qu’au printemps 1956, 400 000 hommes sont mobilisés. Parmi eux, on trouve aussi des appelés. Un appelé est un jeune Français effectuant son service militaire pendant la guerre d’Algérie. Ils sont près d’1.2 million, envoyés en Algérie entre 1954 et 1961.Les classes d’âge 1932 à 1943 sont concernées. Le contingent correspond à la classe d’âge appelée à faire son service militaire. La durée du service militaire est de 18 mois à l’origine, prolongée de 24 à 27 mois, puis jusqu’à 33 mois.

Informations pratiques

Galerie d'exposition temporaire
Du 9 octobre 2012 au 19 mai 2013
Du mardi au vendredi de 10h à 17h30. Samedi et dimanche de 10h à 19h
Tarif unique : 6 euros. Ces tarifs incluent le droit d’entrée à l’exposition permanente et à toutes les expositions temporaires de la Cité.
L'entrée est gratuite pour les moins de 26 ans et pour tous le premier dimanche du mois

Cité nationale de l’histoire de l’immigration
Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil
75012 Paris
En métro : station Porte Dorée (ligne 8)
En tramway : ligne T3
En bus : 46
Les personnes à mobilité réduite accèdent au Palais au 293, avenue Daumesnil (entrée administrative).