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samedi 14 février 2015

Le «jeune-de-banlieue» mange-t-il les enfants ?

Par Thomas GUÉNOLÉ, politologue et enseignant à HEC


Face à une réalité composite, en plus d’être raciste et islamophobe, le stéréotype du «jeune-de-banlieue» est surtout parfaitement idiot.


Le «jeune-de-banlieue», c’est l’ogre des temps modernes. Arabe mal rasé de 15-35 ans vêtu d’un survêtement à capuche, il se promène avec un cocktail Molotov dans une main et une kalachnikov dans l’autre. Il fume du shit dans les cages d’ascenseur, il brûle des voitures ; il gagne sa vie grâce à des trafics de toutes sortes et en fraudant les allocations sociales. Sa sexualité consiste à violer les filles en bande dans des caves ; sa spiritualité, à écouter les prêches djihadistes de l’«islam-des-banlieues», dans des caves également. Il hait la France, l’ordre, le drapeau, et bien sûr, il déteste les Français (comprendre : «les Blancs»). Il aime le jihad et l’islamisme. Son rêve : partir en Syrie se battre aux côtés d’Al Qaïda, pour ensuite revenir en France commettre des attentats. Il ne serait donc pas étonnant que bientôt les parents disent à leurs enfants : «si tu n’es pas sage, le jeune-de-banlieue viendra te chercher».  

Cette description correspond autant aux vrais jeunes des banlieues que le célèbre beauf à béret, avec baguette sous le bras, accordéon et litron de rouge, est représentatif du Français moyen. Problème : depuis les attentats de janvier, ce stéréotype s’est encore renforcé. Pourtant, le terrorisme des frères Kouachi n’est pas plus représentatif de la jeunesse de banlieue que l’héroïsme de Lassana Bathily ou la réussite de l’humoriste Jamel Debbouze.
 
Loin du monochrome absurde du monstrueux «jeune-de-banlieue», la réalité tient plutôt du tableau impressionniste. Ce qu’on appelle «la banlieue», ce sont les banlieues urbaines pauvres. Pendant les Trente Glorieuses, l’immigration pauvre venue du Maghreb et d’Afrique subsaharienne a été parquée dans ces territoires, où vivaient déjà des pauvres descendant de l’exode rural et des vagues précédentes d’immigration de travail : notamment d’Europe du sud et de l’est. La population jeune de ces ghettos urbains a donc des origines, des cultures, des couleurs de peau, aussi diverses que les origines, les cultures et les couleurs de peau de la pauvreté urbaine française.
 
Quant à ce que les vrais jeunes de banlieue font de leur vie, la réalité est moins spectaculaire que le fantasme. L’ascenseur social étant en panne, seule une minorité d’entre eux, quantitativement marginale, arrive à s’en sortir : elle change de classe sociale et souvent, elle déménage de la banlieue pauvre. Le cocktail de cette réussite mélange la détermination, le talent, beaucoup de travail, et parfois la chance d’un «piston». Symétriquement, seule une minorité, encore plus marginale, vit de trafics divers et de contrebande ; une minorité plus marginale encore bascule, elle, dans l’adhésion au totalitarisme wahhabite ou salafiste. Mais pour l’écrasante majorité, pour le gros des troupes, la réalité, c’est une galère de jeune pauvre urbain qui vivote et ne sortira pas du ghetto : 6 sur 10 avec un job mal payé et précaire ; 4 sur 10 au chômage.
 
Face à cette réalité composite, en plus d’être raciste et islamophobe, le stéréotype du «jeune-de-banlieue» est surtout parfaitement idiot. C’est du même niveau intellectuel que «les blondes sont bêtes» ou «les Chinois sont fourbes». Il est donc temps de formuler une requête très simple et très précise aux personnalités politiques, aux «intellectuels» et aux éditorialistes qui propagent ce stéréotype stupide : pourriez-vous arrêter de raconter n’importe quoi sur les jeunes de banlieue ?

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