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dimanche 31 mars 2013

A lire : Le droit de savoir


À quoi sert le journalisme ? Quelle est sa raison d’être ? D’où vient sa légitimité ? Quelle est sa mission démocratique ? Où se situe sa responsabilité sociale ? Pourquoi ses informations peuvent-elles déranger ? En quoi sa crise actuelle concerne-t-elle tous les citoyens ? Mais aussi pourquoi le journalisme d’investigation fait-il l’objet de tant de polémiques ? Quels débats recouvrent les mots de transparence ou de vérité employés à son propos ? Jusqu’où ses curiosités sont-elles légitimes ? Quels secrets doit-il respecter ? Et que veut dire être indépendant pour un journaliste ? Etc.
Autant de questions auxquelles répond "Le droit de savoir" d'Edwy Plenel directeur de Médiapart. A lire absolument !

Extrait

Lecteur, merci d être venu à la rencontre d'un ferment de désordre et de discorde : un journaliste.
Du moins est-ce ainsi qu'en France les pouvoirs établis, autorités instituées, situations acquises et notabilités installées jugent d'ordinaire notre engeance, les journalistes d'enquête - ou d'investigation, comme l'on voudra -, ceux qui cherchent et qui révèlent. Font chorus tous ceux qui, par conformisme ou par aveuglement, les suivent sans broncher, entre troupeaux moutonniers et meutes revanchardes. Et c'est à chaque fois la même danse infernale : pour mieux taire, étouffer ou oublier les informations dérangeantes, le journaliste qui les porte au grand jour est désigné à la vindicte, traité en ennemi, accablé de maux imaginaires et affublé de mots incongrus.
J'ai beau en avoir l'habitude à force d'en avoir fait les frais, je ne m'y habitue toujours pas : pourquoi cet acteur indispensable au jeu démocratique est-il d'emblée décrié quand il assume vraiment son rôle ? Car à quoi est supposé servir un journaliste, selon les canons d'une tradition qui unit règles professionnelles et principes politiques ? Tout simplement à apporter aux gens les informations dont ils ont besoin pour être libres et autonomes. Libres dans leurs opinions, autonomes dans leurs décisions. Leur donner en somme les moyens de réfléchir et de choisir par eux-mêmes, sans être soumis à des puissances qui leur échapperaient ou à des pouvoirs qu'ils ne pourraient pas contrôler.
Un journaliste fait donc son travail quand il apprend au public ce qui lui échappe, ce qu'on ne voudrait pas qu'il sache, ce qu'on lui dissimule ou qu'on lui cache, ce qui lui est méconnu ou inconnu, bref tout ce qui ne ressort pas de la communication, d'où qu'elle vienne. Et, d'autant plus, quand elle provient des pouvoirs et des puissants qui, mieux que d'autres, ont les moyens d'imposer leur vision du présent, tout comme le récit du passé est, le plus souvent, écrit par les vainqueurs et les dominants. C'est alors que la responsabilité sociale du journaliste prend tout son sens, dans sa capacité à sortir des agendas imposés et à dévoiler des réalités inédites.
Or, bizarrement, dans le débat public français, c'est à ce moment précis que le journaliste se fait mal voir. Le voilà brocardé alors même qu'il s'accomplit en jouant son rôle d'apporteur de nouvelles inédites, nouvelles dérangeantes ou mauvaises, indociles et imprévues, incroyables ou impensables, nouvelles qui bousculent les certitudes, ébranlent les opinions, déstabilisent les réputations. Calomnié à cet instant où, sortant de sa routine et prenant des risques, il accomplit la promesse professionnelle qui lui fut enseignée d'être d'abord loyal envers les citoyens en leur dévoilant les vérités les plus utiles, celles qui font réfléchir, celles qui mettent en branle et en mouvement, celles qui découvrent l'impossible et ouvrent le possible. Bref, celles qui nous font sortir des chemins balisés.
Il est vrai que «les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux», chantait déjà Georges Brassens, et peut-être faudrait-il que le journalisme d'enquête fasse de «La mauvaise réputation», cette chanson de 1952, son hymne secret. La posture n'a cependant rien d'enviable. Avantageuse en apparence, elle n'en est pas moins dangereuse et désastreuse. Dangereuse pour les journalistes concernés qui risquent de se vivre en poètes maudits de leur profession, intériorisant en marginalisation l'exclusion qui les frappe. (...)

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